Impuissance
Eh! Je te parle.
Oui, oui à toi, qui essaie de me faire rentrer dans une de tes petites cases.
Tu veux m'avoir à l'usure, me formater à ta guise. Je vois dans ton jeu. Tu ne m'approches pas, trop lâche. La vitre est là pour garantir ton hygiène.
Je te dis maladie, tu penses contagion.
Je démens, tu fais apparaître sur ton visage de bovin ce petit sourire condescendant qui définit si bien tous ceux de ton espèce.
Je te dis intestin, tu penses saleté, incapacité, déficit de popularité.
Je te dis chronique, tu penses ''sans espoir''
Je te dis aide-moi, tu penses à me laisser dans ma merde, bien au chaud, si possible en me rayant de ta liste, ça fait toujours bien dans les stats.
Je te demande un peu de ton temps, tu songes à partir un peu plus tôt aujourd'hui.
A toi, petit furoncle du quotidien, petit employé engoncé dans ton petit costume, faisant ton petit métier au pire de tes petites capacités, jalousant ta brillante collègue qui se démène en 48 pour aider son interlocuteur, qui paraît sincèrement désolée lorsqu'elle échoue, qui essaie, qui fait ce pour quoi on l'a engagé, tout simplement, à toi je n'ai rien à dire.
Alors si on arrêtait là cette guerre froide qui nous épuise l'un et l'autre? Si tu écoutais, baissais cette vitre qui nous sépare, te confrontais à ma réalité? Soyons fous, si au lieu de me pointer chaque mois dans ton ordi, de faire semblant de regarder tes annonces avant de me donner rendez-vous au mois prochain, le tout sans me regarder, tu prenais un peu de temps pour m'aider à trouver ce petit travail qui me donnerait un peu d'estime de moi? Si tu me regardais, de temps en temps? Je ne te demande pas de mémoriser mon visage, mais de te rendre compte que la voix étouffée par l'hygiaphone (que tu es le seul à utiliser dans l'agence, et seulement pour moi) ressemble à quelque chose d'humain, de me serrer la main, de m'accorder le minimum. D'oublier la seule chose dont tu sembles te souvenir lorsque tu entends mon nom (mais peut être est-ce aussi entré dans ton PC; tu as l'air perdu sans lui, nu, désemparé.):
MaladieMaladieMaladieMaladieMaladieMaladieMaladieMaladieMaladieMaladieMaladieMaladie
un mantra presque tangible dans tes yeux, dans ta hâte à ne pas me toucher, à ne pas m'approcher.
Je n'ai pas la peste.
Je suis propre.
Je ne fais plus à côté de la litière depuis longtemps.
Parfois même, je me mets du déodorant.
Même ta collègue m'accorde plus d'attention que toi. Dans son regard, je lis de la pitié. Pas de mon état, qu'elle ne connaît pas, mais de t'avoir comme conseiller.
Ça ne t'interpelle pas? Ça ne te fait pas réfléchir?
La honte ne t'effleure-t-elle jamais?