les joies de la campagne

Publié le par tibou

Je suis en 4e. Dans un petit collège de campagne, tu vois, le genre de bahut où tout le monde se connaît, pas le choix, si on est 250, c'est bien le bout du monde. Le genre de bahut où tes parents, ton frère ou ta soeur t'ont précédé, le genre de bahut où ton père est pote avec le CE, où ton grand-père déjeune toutes les semaines avec le principal et va à la chasse avec ton prof de bio, où tes professeurs ont eu tes parents comme élève, à moins qu'ils se soient retrouvés dans la même classe, gamins.


Le genre de bahut où garder un secret est impossible, et pire que ça. C'est mal vu. Tout le système répressif du collège fonctionne sur le fait que si tu fais une connerie, si tu sèches, si tu marches en dehors des clous, tu n'es pas un anonyme que le CE n'a jamais vu avant. Il connaît ton dossier par coeur, et ne se contentera pas d'envoyer une lettre à tes parents. Après tout, il croise ton père au bistro au moins une fois par mois. Fatalement, tu te feras prendre un jour ou l'autre, alors pourquoi même tenter quoi que ce soit ? Pourquoi en avoir l'idée, au départ ? C'est déjà fauter, et on te le fait comprendre très vite. Tu marcheras au pas, tu n'as pas le choix.


Et moi là dedans? Moi, j'ai 14 ans, j'ai grandi d'un coup pendant l'été, et je ne m'y habitue pas. Les copains non plus. Ils ne savent pas vraiment comment appréhender le changement. Tu vois, jusqu'ici, j'étais le ptit intello, pas celui qu'on tape à la récré, non, plutôt le mec qui cherche pas les embrouilles, se débrouille toujours pour ne pas être le premier de la classe, sauf dans les matières qui lui importent : anglais, français parfois, même si là la concurrence est rude et qu'il faut bien avouer que je suis un feignant fini, et histoire-géo. Je suis copain avec les grandes gueules de 4e, et avec pas mal de 3e, et puis je nage dans ce milieu comme un poisson dans l'eau. La plupart des élèves de ma classe, je les connais depuis le CE1, l'année où je suis arrivé dans le coin. Je fais du théâtre avec certains, j'ai pratiqué le judo avec beaucoup d'autres. Alors je ne crains pas de me faire tabasser. De toutes façons, ce collège, c'est un peu mon village. Tu racontes quelque chose, tu peux être sûr que dans l'heure qui suit, ça a fait le tour de la cour. Et de la salle des profs. Dans ces conditions, les bagarres sont rares.


Par contre, on sait manier les mots. Certains mieux que d'autres. Moi, je ne suis pas très doué, mais j'apprends. Et la carrure a beau ne rien à voir avec cette guerre de la phrase qui fait mal, elle reste un atout important, qui joue sur le charisme. Un charisme que je ne possédais pas l'année dernière, mais aujourd'hui, qui sait? Nous vivons dans une fange de ragots, pour la plupart à moitié vrais. Les pires. Et tu me croiras sûrement si je te dis que les plus prompts à utiliser nos armes, ce sont nos propres professeurs.


Alors quand la rumeur comme quoi j'étais amoureux de ma voisine en latin s'est répandue, tu peux être certain qu'elle n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde, en l'occurence celle de ma prof de français et de latin, une peau de vache liftée aux chemises transparentes dissimulant à grand peine ses soutiens-gorge noirs. Un corps encore bien conservé surmonté d'une tête à faire peur. Une choucroute infâme en guise de chevelure, un esprit fourbe et calculateur. Mon cauchemar. Les jours où elle nous faisait cours, je me levais avec les mêmes maux de ventre que lorsque je devais aller la piscine au CP, après que le maître-nageur, un être magnifique de compréhension et de bonté nous ait poussé sans préavis dans l'eau, à 2m de profondeur, car, dira-t-il plus tard à ma mère, « rien ne vaut la surprise apprendre à un gamin à mettre la tête sous l'eau ». Ce jour-là, on m'a repêché avec la gaffe, à moitié suffocant, avec une terreur de l'eau qu'encore aujourd'hui je ne contrôle qu'à grand peine.


Pour une fois, la rumeur dit vrai, entièrement. Ce n'est pas nouveau non plus, je suis ami avec A. depuis un bail, et depuis plusieurs années, mon intérêt pour elle a évolué. Je suis un peu amoureux, c'est sûr. Pas le grand amour qui balaye tout, qui te mat des étincelles dans les yeux, mais assez pour te rendre assez crétin pour faire pas mal de conneries pour elle. Dans le cas qui nous occupe, la laisser copier sur moi en latin.


A crétin, crétin et demi, elle se débrouille pour que cela soit flagrant, et ce qui doit arriver arrive, note divisée par deux pour chacun de nous deux, et madame V. demande qui a copié sur l'autre. Franchement, ce n'est pas cela qui l'intéresse, parce qu'elle le sait déjà. Ce qui importe, c'est de tuer dans l'oeuf toute velléité de recommencer. Personne ne pipe mot, nous nions tout en bloc, y compris le fait d'avoir pompé l'un sur l'autre. L'erreur à ne pas faire. Mais curieusement, nous nous en sortons indemnes, seulement avec cette note tronquée et une punition. La sentence paraît légère, pour la Grande Salope. Elle nous a habitué à mieux, à l'humiliation en public, à la phrase qui tue, délivrée d'une voix douce, calme. Un coup de scalpel net, précis, exécuté avec un sourire innocent. Mais là, rien de rien.


Si on avait su, A. et moi...


Réunion parents-profs, 1 mois plus tard, à peu près. J'accompagne toujours mes parents, parce que j'ai remarqué que les professeurs osent moins parler de toi quand tu es présent. Stratégie dont je n'ai pas vraiment besoin, puisque j'ai au moins la moyenne partout, mais c'est devenu une habitude,et puis ces jours-là on vent des gâteaux pour la sortie de fin d'année, et je suis délégué de classe, cette fois-ci. A. aussi. J'avoue, c'est un peu parce qu'elle se présentait que j'ai emboîté le pas. Je ne suis pas un fanatique des responsabilités.


Tout se passe bien, mon père est en retard, comme d'hab', en train de baiser e ne sais quelle collègue de 15 ans sa cadette, et se fera jeter par ma mère excédée quelques mois plus tard. Mais pour l'instant, c'est la salle de la Grande Salope qui se profile. Je n'ai pas à rougir de mes notes, mais je suis à peu près sûr que l'épisode du mois précédent va refaire surface. Je ne suis pas déçu. Mes parents sont au courant, mais ne connaissent que ma version, et j'ai juré sur tous les saints possibles et imaginables que j'étais blanc et pur comme l'agneau qui vient de naître. Mais ma vision des choses ne tient pas deux minutes devant son exposition des faits. Photocopies à l'appui, elle démontre par A+B l'impossibilité que ces deux copies n'aient rien à voir l'une avec l'autre. Et puis elle assène le coup de grâce.


« Tu sais, je comprends que tu veuilles la protéger, puisque tu sors avec elle, mais les preuves sont là. »


Tu te rappelles tes années de collège? Comme la simple mention de toi sortant avec la fille que tu aimes « en secret » te faisait rougir jusqu'à la racine des cheveux? Eh bien imagine ça devant tes parents (mon père étant arrivé entre temps, malheur de malheur), et la phrase fatidique prononcée par ton professeur...


Les larmes qui montent aux yeux. Le teint écarlate. La colère devant les faits travestis. Le plaisir pervers que quelqu'un puisse penser malgré tout que la chose soit possible, alors que tu croyais que toi seul pouvait l'envisager. Et puis la peur. La rumeur, tu la vois partir, s'enfler, se nourrir copieusement de détails débiles, s'insinuer dans le moindre recoin de l'établissement. Et là tu comprends. Elle a juste attendu son moment pour lâcher sa bombe. Celui qui ferait le plus mal, celui où, impuissant, tu ne peux que la regarder prendre un air compatissant, et remarquer la lueur d'amusement dans ses yeux. Ils te disent que tu as perdu avant d'avoir joué, que ça n'est même plus la peine de lutter. Ton père est au courant, il va te bassiner avec ça pendant des semaines. Ton grand-père et le père de A., maires de leurs communes respectives, vont avoir un sujet de conversation pour leur gueuleton dominical. Les autres élèves auront enfin un point de pression sur lequel appuyer, et ne vont pas s'en priver. Et le regard de A. ...


Elle savait, bien sûr, mais faisait semblant de l'ignorer. Et toi, tu te disais que c'était très bien comme ça, que dès que le mot serait prononcé, tout changerait, et pas en mieux.


Elle ne t'a même pas laissé une petite chance de lutter. K.O au premier round. Et tout a changé. Avec A., les sourires se font gênés. Les conversations banales. L'intimité n'est plus. A Noël, le grand sujet , c'est toi. Pourquoi tu ne veux pas avouer que tu sors avec cette fille, hein? Pourquoi? Mon oncle harcèle. Il excelle dans cette discipline, et je lui dois certainement une bonne partie de mon sens de la répartie lorsqu'on m'agace.


D'habitude, je ris jaune, et je réplique, en bouillant à l'intérieur. Aujourd'hui, la coupe est pleine, je supporte sans broncher depuis des semaines cette situation ridicule. Je me lève, m'approche. Il se mange un pain en pleine face, avant que je lui saute dessus, hystérique, mordant, griffant, arrachant tout ce que je peux avant qu'il ne se remette de sa surprise et fasse état de sa force d'adulte. Il porte encore aujourd'hui sur son bras la marque de mes dents.


Cela mettra un terme au « jeu ». Ils comprennent enfin. La rumeur joue pour moi, cette fois, et plus personne ne vient m'emmerder avec cette histoire la rentrée venue. Même la Grande Salope en personne n'ose pas vraiment aborder le sujet, alors qu'elle ne s'en privait pas quelques semaines plus tôt, en pleine salle de cours.


Il a fallu ça pour qu'ils comprennent qu'on ne fait pas chier un crétin amoureux et maladivement timide.


Cette histoire n'a rien de triste, mais tu vois, elle me glace, me ramène ce rouge aux joues à chaque fois que j'y pense. Je regrette d'avoir dirigé ma colère sur la mauvaise personne. Sache, connasse, que c'est ta gueule que j'aurais bien arraché à coups de dents, au lieu du bras de mon oncle. Tu aurais eu la peau tirée pour quelque chose. Mais c'est surtout ce système qui me reste en tête, que je comprenais instinctivement seulement à l'époque, et qui m'apparaît aujourd'hui dans toute sa perversité. 

Publié dans tiboudblog

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C
filles nues.. illes nues... les nues... nues.. ues.. ues...<br /> Ah oui on dirait... (faut bien que je justifie mon joli titre hein)
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y'a des filles nues dans l'echo?
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T
cécile> l'écho des savanes, ya des filles toutes nutes dedans, c'est sale. j'attends l'album de folie pour le dévorer. Phil> tu connais mes faiblesses.
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P
Exact . Y'a aussi les poires à lavement !
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C
si tu lisais l'echo des savanes ( ou tu peux lire aussi des planches de madame folie privée) tu saurais qu'il existe mieux que les dames en plastique avec valve ( à propos elle est où la valve sur la poupee gonflable?)des cannettes chauffantes pseudo foufoune ( faut etre imaginatif)( et reussir a comprendre la phrase perdue dans les parentheses)
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